Fragments de H. H.-D. (022)

Je n’ai aucune idée des précautions à adopter pour me conformer aux conseils de prudence d’Anne Devincey. J’y verrais plus clair si je connaissais la raison de l’arrestation du superviseur mais elle ne m’a pas éclairé sur ce point.  Comme elle semble être une de ses proches collaboratrices à la Société de l’Automne, il est vraisemblable qu’il l’a tenue informée des discussions que nous avions eues à propos de Blanqui, Geneniève d’Aulnoye et des disparitions. Est-ce à cause de l’attention que nous portons à ces phénomènes qu’elle m’a mis en garde? Si c’est le cas, cela signifie que pour elle l’arrestation de Schrödinger a partie liée avec ces affaires. J’essaie de me convaincre qu’il peut aussi s’agir d’une coïncidence et que tout cela soit un épisode de cette lutte entre les différentes factions au pouvoir qu’elle a évoquée, lutte dont j’ignore à peu près tout. A l’opposé de ces hypothèses, le fait qu’il a été sur-le-champ interné en hôpital psychiatrique pourrait laisser supposer un acte de démence de sa part lors de son entretien avec le Commissaire d’Etat. Pourtant à aucun moment, lors de nos conversations, je n’ai eu le sentiment d’avoir affaire à un homme à l’esprit dérangé. La dégradation de son état physique pourrait-elle être le symptôme - ou bien la cause - d’un mal plus profond ? Je tremble alors d’imaginer le diagnostic que l’on pourrait porter sur mon état mental, moi qui ai pour ainsi dire assisté à la disparition puis à la réapparition d’une rue de Paris. 



     C’est peu dire que j’étais anxieux ce matin en me rendant au bureau. Je pus vite constater que la nouvelle de l’internement de Schrödinger ne s’était pas encore répandue parmi mes collègues. Je parle, bien sûr, des collègues de mon niveau, comme Marie Di Luca ou Armand Pélissien; en ce qui concerne le superviseur Larcher, il ne faisait aucun doute dans mon esprit que celui-ci était au fait des évènements. Quant au Divisionnaire Wiesner, quel rôle jouait-il?   

     En fin d’après midi on nous remis une note de service, signée dudit Divisionnaire, annonçant en trois lignes sèches que le superviseur Schrödinger avait dû quitter son poste “pour des raisons de santé” et, qu’en attendant la nomination d’un remplaçant, l’ensemble des dossiers qu’il traitait était dévolu au superviseur Larcher. Marie Di Luca fut totalement ahurie et Armand Pélissien se leva en claquant sa chaise bien fort et sortit dans le couloir. A part moi je me demandais quels dossiers pouvaient encore bien traiter Schrödinger, vu que sa présence à la Division était devenue sporadique et qu’on l’avait déjà privé d’une partie de ses agents comme Marie di Luca et moi-même. Je tâcherai de poser la question à Pélissien, le seul qui travaillait encore jusqu’à ce jour sous ses ordres directs.

    La façon dont on traite cet homme, qui fut la cheville ouvrière de ce service quand Larcher n’a toujours été que le factotum du Divisionnaire, suffit à elle seule à ce que je vive ces évènements avec affliction et dégoût. Par surcroît, bien que je sois d’un tempérament pondéré et peu prompt aux exaltations, l’aventure de la rue des Orties, l’affaire de Geneviève d’Aulnoye ainsi que les autres cas qu’il m’a rapportés, m’ancrent aujourd’hui dans la conviction que la proscription dont il est l’objet est grosse de catastrophes à venir.

2 commentaires:

  1. Anonyme09:14

    Nous sommes tous obligés, pour rendre la réalité supportable, d'entretenir en nous quelques petites folies...
    M Proust ;-)

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  2. ghostkatz10:36

    Oh wie ist es kalt geworden
    Und so traurig, öd und leer

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