Fragments de H. H.-D. (014)

"Venez!" ajouta-t-il, et nous retraversâmes le vestibule circulaire jusqu'à un escalier à double volée de marches qui nous conduisit au premier étage, dans une salle de même forme que celle du rez-de-chaussée, au papier peint déchiré par endroits, meublée de bibliothèques, de longues tables et de curieux appareillages. Une femme était en train d'écrire à la lumière d'une lampe en laiton et opaline. A notre vue elle se leva, nous salua de la tête et se retira dans une pièce voisine, un dossier sous le bras. "Voilà, fit Schrödinger, comme vous l'avez peut-être deviné, nous sommes ici au siège parisien de la Société de l'Automne.
    - J'ai vu en effet la plaque sur la porte en arrivant, mais honnêtement ce nom ne me dit rien. Est-ce que cela devrait ?
    - Probablement pas. J'ai cru comprendre que la vie héroïque et mouvementée d'Auguste Blanqui n'était pas votre sujet d'étude favori, répondit-il d'un ton goguenard, même si, comme je l'espère, mes diverses allusions vous ont amené à vous intéresser d'un peu plus près au personnage."

      Il décrocha du mur un sous-verre et me le tendit: "Et ça, est-ce que ça vous évoque quelque chose?" Deux feuillets imprimés portant comme titre "Formulaire de réception à la Société des Saisons". Je lis: "Le récipiendaire est introduit les yeux bandés. Le président au présentateur : Quel est le nom du nouveau frère que tu nous amènes ....  Au récipiendaire : Citoyen (...), quel est ton âge ? ta profession ? le lieu de ta naissance ? ton domicile ?... Quels sont tes moyens d'existence ? As-tu réfléchi à la démarche que tu fais en ce moment, sur l'engagement que tu viens de contracter ? Sais-tu bien que les traîtres sont frappés de mort ? ...Jure donc, citoyen, de ne révéler à personne rien de ce qui se passera dans ce lieu, etc."
    "C'est le rituel d'admission à la Société des Saisons, une société secrète républicaine que Blanqui et Barbès avaient fondée, répondis-je. J'ai entendu parler de ce document, j'en ai même lu des extraits à la bibliothèque Blanqui du Musée de la République. J'ignorais que l'original existait encore.



     - Il en existe quelques exemplaires, nous en possédons un. Ce texte doit vous sembler quelque peu daté et grandiloquent. Son intérêt est ailleurs. Cette société a été créée en 1837 après le démantèlement par la police de la Société des Droits de l'Homme puis la scission de la Société des Familles. L'explication généralement admise de l'appellation Société des Saisons était en rapport avec son mode d'organisation. C'est celle qui fut évoquée lors du procès de l'insurrection de mai 1839: "La plus petite subdivision de la Société se compose de six hommes et d'un chef qui forment une semaine, dont le chef est le dimanche. Quatre semaines réunies composent un mois placé sous la direction d'un chef plus élevé nommé juillet. Trois mois forment une saison, commandée par un chef suprême nommé printemps; quatre saisons réunies enfin, forment une année commandée par l'un des chefs suprêmes de l'association, par l'un des membres du comité, sous le nom d'Agent révolutionnaire."  En un sens cela correspondait à la réalité...
    - Pour me parler de la Société de l'Automne vous convoquez celle des Saisons, l'interrompis-je. Bon, Saisons, Automne, l'analogie est manifeste. Dois-je en déduire que la première est une émanation de l'autre? que la Société de l'Automne a pris en quelque sorte la suite de l'éphémère Société des Saisons après l'échec de 1839 et l'emprisonnement de ses dirigeants? ou encore qu'elle s'est constituée par sécession d'avec la société mère?
    - Bien raisonné, camarade, à ceci près que c'est tout juste l'inverse. L'existence de la Société de l'Automne est bien antérieure à celle de la Société des Saisons. Pour ce que j'en sais, son existence serait attestée une bonne soixantaine d'années plus tôt."
    Il s'arrêta un instant puis ajouta, avec un sourire en coin: "Et elle aurait compté parmi ses membres Geneviève d'Aulnoye en personne."

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