Fragments de H. H.-D. (013)


Quelque chose me gênait à la lecture de ces poèmes et je sus rapidement quoi. J'avais acquis une bonne connaissance du dossier d'Aulnoye et, si le style de ces strophes ressemblait indéniablement à celui des autres écrits de la poétesse, pour autant que ma mémoire soit fiable je n'avais jamais vu dans aucun catalogue de ses œuvres ces titres mentionnés. J'en fis la remarque à Schrödinger qui n'eut pas l'air surpris.
   "Vous avez raison, me répondit-il, vous n'en trouverez pas mention dans l'édition 1907 du Répertoire des Auteurs français du XVIIIème siècle d'Albert Brissotin* qui fait pourtant autorité en la matière, pas plus que dans ses éditions ultérieures. Ils ne figurent pas davantage à l'entrée "Aulnoye" du Nouveau dictionnaire historique, critique et bibliographique de Desessarts de 1800**.
   - Ni, je suis formel, dans La France littéraire de J.-M. Quérard***, ajoutai-je. Pardonnez-moi, mais êtes vous absolument certain que nous n'avons pas affaire à un faux? fis-je en désignant le volume sur le bureau.
   - Sans doute aucun. Il a été expertisé avec le plus grand soin.
   - Mais enfin, pouvez-vous me dire où il a été retrouvé, alors que tout le monde le recherchait depuis des mois?
   - Mais à sa place, à la Bibliothèque des Rimes et Inscriptions."

   Je sentis d'un coup l'impatience me gagner: "Monsieur le Superviseur, je regrette de vous le dire, mais j'ai la très nette impression que l'on me promène depuis pas mal de temps maintenant. J'ai consacré de longues semaines de travail à la disparition des œuvres de Geneviève d'Aulnoye et vous m'affirmez aujourd'hui que ces livres - ou au moins celui-ci - n'auraient jamais quitté leurs rayonnages! Et pour couronner le tout, le volume qui n'a soit-disant pas bougé de sa place se révèle différent de celui qui s'y trouvait avant que l'on pense qu'il avait disparu! Avouez que tout cela paraît pour le moins extravagant, non?"

   Évidemment Schrödinger s'attendait à ma réaction. "Votre irritation et votre frustration sont compréhensibles, me répondit-il. Néanmoins je vous assure que je ne me moque pas de vous le moins du monde. Vous me connaissez un peu, regardez moi aujourd'hui... Vous avez le droit de penser que je perds la tête, et c'est à moi d'essayer de vous convaincre du contraire, mais pouvez-vous vraiment imaginer que je n'ai rien de plus intéressant à faire que de monter des canulars pour m'amuser à vos dépens?"

   Il resta ensuite un long moment sans prononcer une parole. Il ne semblait pas contrarié par mon éclat, plutôt pensif. J'avais l'impression qu'il était sur le point de m'en dire plus mais que quelque chose le retenait. Il nous resservit du café et alluma cette fois-ci un confortable cigare. "Bon! reprit-il en tapant du plat de la main sur l'accoudoir de son fauteuil, il faut que je vous parle de la Société de l'Automne."


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* Répertoire des Auteurs francais du XVIIIème siècle
par Albert Brissotin
à Paris, Société d'Éditions littéraires et artistiques
Librairie Paul Ollendorff
50, Chaussée d'Antin, 50
1907

** Les Siècles Littéraires de la France,
ou
Nouveau Dictionnaire, historique, critique, et bibliographique

de tous les Écrivains français, morts et vivans, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
Contenant : i°. Les principaux traits de la vie des Auteurs morts, avec des jugemens sur leurs ouvrages; 2°. Des Notices bibliographiques sur les auteurs vivans; 3°. L'indication des différentes Éditions qui ont paru de tous les Livres français , de l'année où ils ont été publiés, et du lieu où ils ont été imprimés.
par N.-L.-M. Desessarts, et plusieurs biographes.
à Paris, chez l'auteur, imprimeur-libraire, Place de l'Odéon
An VIII (1800)

*** La France Littéraire
ou
Dictionnaire bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France, ainsi que des littérateurs étrangers qui ont écrit en français, plus particulièrement pendant les XVIIIe et XIXe siècles

Ouvrage dans lequel on a inséré, afin d'en former une Bibliographie nationale complète, l'indication i° des réimpressions des ouvrages français de tous les âges ; 2° des diverses traductions en notre langue de tous les auteurs étrangers, anciens et modernes; 3° celle des réimpressions faites en France des ouvrages originaux de ces mêmes auteurs étrangers, pendant cette époque.
par J.-M. Quérard.
à Paris, chez Firmin Didot frères, libraires,
Rue Jacob, n° 24.
M DCCC XXIX

1 commentaire:

  1. Oh, mais le brouillard se lèvera-t-il sur la société de l'automne?... Et où ces oeuvres qui vivent leur vie sans nous, nous entrainent-elle?
    La suite svp !

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