Fragments de H. H.-D. (006)

J'ai reçu des nouvelles de Schrödinger. Le concierge m'a remis hier soir un colis contenant un petit livre d'aspect fatigué à couverture toilée verte, écrit en espagnol. Il s'intitule La trama celeste et le nom de son auteur - Adolfo Bioy Casarès - m'est inconnu. La page de garde indique que l'ouvrage a été édité en 1948 à Buenos Aires par la maison Sur.
   Entre les pages, une feuille de papier pliée en deux à en-tête du superviseur, avec ces quelques mots : « Lisez la nouvelle numéro quatre. »




   La nouvelle en question, qui court sur une quarantaine de pages, est celle qui a donné son titre au recueil; elle porte comme sous-titre Las aventuras del capitàn Morris. N’étant pas familier de la langue espagnole, je m’armai d’un dictionnaire et me branchai à un service d’A.E.T*. Au petit matin j’étais parvenu à une traduction à peu près intelligible du texte. Celui-ci raconte l’histoire d’un pilote d'essai argentin qui doit expérimenter un nouvel avion secret. Il subit un accident à l'atterrissage et se réveille détenu dans un hôpital militaire. Interrogé par l'armée, celle-ci le prend pour un espion Urugayen. Il fait appel à ses amis mais personne ne le reconnaît. Il se trouve dans l’impossibilité d’expliquer la situation, mais finalement le narrateur, un ami à lui, découvre la vérité : il a voyagé dans un univers parallèle, ressemblant beaucoup au nôtre mais cependant différent par quelques détails, où les êtres, les lieux, les nations existent ou disparaissent de façon incompréhensible.

   Le récit est parsemé de références à Blanqui, en particulier à un « poème en prose » intitulé L’Eternité par les astres qu'il aurait rédigé en prison. Quelqu’un – Schrödinger probablement – a souligné et annoté certains passages tels que celui-ci, qui serait extrait de L’Eternité par les astres :

   « Il y aura des mondes infinis identiques, des mondes infinis légèrement variés, des mondes infinis différents. Ce que j'écris maintenant dans ce cachot du fort du Taureau, je l'ai écrit et je l'écrirai durant l'éternité, sur une table et un papier, dans un cachot, entièrement semblables. Dans des mondes infinis ma situation sera la même, mais peut-être que la cause de ma réclusion perdra graduellement sa noblesse, jusqu'à être sordide, et peut-être que mes lignes auront, dans d'autres mondes, la supériorité indéniable d'un adjectif heureux. »
   H. H.-D.

* Aide électronique à la traduction.


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